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mercredi 22 mai 2013

Religions orientales en Gaule Romaine/ Culte de Cybèle et Attis/ Les autels tauroboliques de Lectoure

Culte de Cybèle et d'Attis
 



Grande Mère des dieux (Magna Mater), Cybèle, connue par les Grecs sous le nom de Rhéa, femme du titan Cronos et mère des dieux de l'Olympe, et assimilée à Koubaba, la déesse-mère hourrite, était adorée à Pessinonte en Phrygie et sur l’Ida comme déesse de la terre, de la nature et de la fertilité et maîtresse des fauves.
L’Ida, chaîne de montagne du nord-ouest de la Turquie, se trouve au sud-est de l'ancienne plaine de Troie. Son sommet le plus élevé, le mont Gargarus (ou Kaz Dagi, 1.767 m) servit de tombeau à Cybèle ; la légende raconte qu'il s'agit du lieu où le prince troyen Pâris jugea la beauté des déesses rivales Héra, Athéna et Aphrodite, où le prince troyen Ganymède fut enlevé par Zeus et où les dieux s'arrêtaient pour contempler les batailles de la guerre de Troie.

Cybèle était servie par les Corybantes, êtres sauvages, à demi démoniaques, qui tiraient leur nom des divinités crétoises qui avaient chanté autour du berceau de Zeus pour couvrir les vagissements du nouveau-né et empêcher ainsi son père, Cronos, de venir le dévorer.

Cybèle possédait un parèdre, Attis, dieu de la végétation, berger qui s’émascula sous un pin après qu’elle l’eut frappé de folie pour lui avoir été infidèle, et qu’elle ressuscita sous la forme d’un pin (selon Ovide).

La religion de Cybèle, où se manifestaient les éléments d’un fétichisme primitif (culte du pin, des pierres, des fauves), était caractérisée par des cérémonies orgiaques de nature mystique (crises d’hystérie et scènes de possession) et par des rites sauvages (mutilation et émasculation de ses prêtres, les galles ; ceux qui survivaient revêtaient des habits féminins).

Le culte de la Grande Mère des dieux, déesse de l’Ida (Mater deum magna Idaea), fut reçu officiellement à Rome vers 205 av. J.-C. quand le bétyle noir (un aérolithe) symbolisant la déesse, fut transporté de Pessinonte à Rome en grande pompe et installée sur le Palatin. Auguste, pourtant hostile aux cultes orientaux, manifesta son attachement au culte de Cybèle dont il fit reconstruire le temple, détruit par un incendie et qu’il dédia en l’an 3 ; sa femme, Livie, fut assimilée à la déesse ; les poètes augustéens rattachèrent le culte aux origines troyennes de Rome.

En 47, Claude introduisit le culte d’Attis. De nouveaux prêtres, les archigalles, furent choisis parmi les citoyens romains (ce n’étaient pas des eunuques comme les galles).

Le rituel du taurobole, purification et initiation par le sang d’un taureau égorgé, qu’on recueille d’abord dans un vase, puis, au IVe siècle, dont on asperge le fidèle en manière de baptême, fut introduit officiellement à Rome par Antonin (138-161).
Un cycle de fêtes, à caractère nettement phrygien, du 15 au 27 mars, faisait revivre la mort et la résurrection d’Attis, symbolisant la renaissance de la végétation : le premier jour, une procession de cannophores (porte-roseaux) et le sacrifice d’un taureau précédaient une semaine de continence et d’abstinence ; le 22 mars, les dendrophores transportaient un pin enveloppé de bandelettes et de violettes, représentant Attis mort ; le 24, jour du sanguis, les funérailles du dieu étaient célébrées à grand renfort de douleur bruyante et de mutilations ; le 25, les hilaries fêtaient la résurrection d’Attis ; enfin, le 27, la Grande Mère était purifiée par un bain (lavatio) dans l’Almo, vieux rite agraire qui avait pour but d’attirer la pluie. Cette alternance de douleur violente, de joie exubérante et la promesse de salut contenue dans la résurrection d’Attis, attirèrent la dévotion des Romains, surtout des femmes, écartées du culte de Mithra.

Venant du Vatican de Rome, le culte de Cybèle, recruta des adeptes en Gaule surtout dans les villes, dans la région du Rhône (Lyon, Vienne, Die) et en Aquitaine.
En 160, eut lieu, à Lyon, le premier taurobole de Gaule, pour la santé de l’empereur Antonin et le salut de la colonie de Lugdunum : un taureau fut immolé à la Grande Mère des dieux, et on lui édifia un sanctuaire, à Fourvière, sur le site du temple de Lug.

Le taurobole trouvait son équivalent dans le sacrifice annuel des taureaux en l’honneur de la déesse-mère (on peut se demander si, notamment à Lyon, le culte de la Grande Mère des dieux n’est pas venu se greffer sur un culte indigène des déesses-mères).

A la cérémonie de l’arbor intrat, procession du pin d’Attis, correspondait un usage gaulois analogue : les guerriers gaulois transportaient en procession, à certaines dates de l’année, un arbre, qu’ils allaient ensuite jeter dans un puits. Ce rite est attesté par une scène figurant sur le chaudron de Gundestrup et par les arbres entiers, munis de leurs branches, de leurs racines et de leurs feuilles, découverts dans les puits funéraires gallo-romains, notamment en Vendée et dans le Sud-ouest.


Autels tauroboliques de Lectoure


Les autels tauroboliques de Lectoure sont une collection de 20 autels commémorant de grands sacrifices à la déesse Cybèle, appelés tauroboles. Découverts, pour tous ceux qui sont conservés, lors de la reconstruction du chœur de la cathédrale de Lectoure (Gers), ces autels furent aussitôt constitués en « collection publique ». S’ils ne représentent pas la moitié des autels tauroboliques actuellement conservés en France, comme cela a été longtemps affirmé, c’est du moins la collection la plus importante. Ils se trouvent au Musée Eugène-Camoreyt de Lectoure.

Découverte

Lectoure, l’ancienne Lactora, est considérée comme une des « villes saintes » de la Gaule. La partie la plus élevée de la ville a connu une occupation permanente depuis la préhistoire. Les Gaulois y ont laissé des puits funéraires. Lors de la période gallo-romaine, la ville descend dans la plaine, au pied de sa colline originelle, pour s’étendre selon l’urbanisme romain. Cependant les temples et les sites religieux seraient demeurés sur la hauteur. Deux temples au moins sont attestés par l'épigraphie mais non localisés, un à Jupiter et un à Cybèle2. Après les grandes invasions et au Moyen Âge, la ville revient sur la hauteur, plus facile à fortifier.
En 1540, à l’occasion des grands travaux dans le chœur de la cathédrale et à côté, dans les ruines de l’église primitive dédiée à saint Thomas, on met à jour vingt ou vingt-deux autels tauroboliques. Leur nombre était probablement supérieur, si l’on s’en tient à divers témoignages le plus souvent indirects. On ignore si lors de leur découverte les autels se trouvaient déjà en remploi dans les murs de la cathédrale primitive, dans le rempart dit gallo-romain, ou dans le sol naturel.
Cette découverte a de grandes répercussions, car ces monuments sont cités dans l’ouvrage de Du Choul, en 15563, qui dit que l’autel dédié à l’empereur Gordien servait de base à l’autel de l’église : Et en la dicte vile de Lectore, en vn petit temple ruiné de Saint Thomas, se voit en vne colonne, qui soustient l'autel, l'epitaphe cy apres mis: par lequel est congneu, que l'ordre des Decurions (que nous pourrons appeller Escheuins) feit pour la santé de Gordian l'Empereur, & de Sabina Trãquillina sa femme, & pour l'estat de la cité de Lectore, le sacrifice, nommé Tauropolium, à la Mere des Dieux. Cette collection a été immédiatement déclarée collection publique, vraisemblablement un des premiers musées de France, et les consuls de la ville se la transmettent scrupuleusement à chacune de leurs mutations.
On a longtemps considéré que la cathédrale et l’église Saint-Thomas avaient été édifiées sur les temples, ce qui correspond à la tradition et justifie la découverte des autels. Cependant, Georges Fabre et Pierre Sillières4 émettent l’hypothèse que les autels se seraient trouvés en remploi dans le premier rempart de la ville, qui passe précisément au niveau du chœur de la cathédrale. Pour appuyer cette proposition, l’absence de découverte de tout artefact de cette époque sur la partie sommitale de la colline lectouroise, ce qui laisse supposer qu’elle était alors inoccupée et que les temples se trouvaient plus bas, dans la partie haute du forum, qui se serait situé au nord-est de la cité antique, et les autels auraient donc été remployés pour la construction du rempart. La base du rempart médiéval, visible dans sa partie nord, près de la tour du Bourreau, est constituée de blocs de remploi antiques.
En 1591, on construit la maison commune (sur l’emplacement de l’actuelle halle aux grains). Les autels tauroboliques et d’autres stèles y sont encastrés dans les piliers. Ils y restent jusqu’en 1840, où l’édifice est détruit par un incendie. On reconstruira quelque temps après une nouvelle halle, et les autels sont entreposés dans une salle5 de l’ancien palais épiscopal, devenu hôtel de ville depuis 1819. En 1874, Eugène Camoreyt, modeste professeur de dessin et érudit amateur, les installe dans l’ancienne chapelle des évêques, comme pièces maîtresses du musée qu’il va peu à peu constituer.

Les tauroboles

Le taurobole est un sacrifice de sang, où l’on égorge un animal pour obtenir l’intercession du dieu : en général un taureau, d’où le nom. Il peut s’agir d’un bélier, auquel cas le sacrifice est un criobole, pratiqué en l’honneur d’Attis, parèdre de Cybèle, et les sacrifices (taurobole et criobole) étaient souvent réalisés ensemble. Les tauroboles font l’objet de grandes cérémonies, peu fréquentes, et réunissant de grandes quantités de prêtres et de fidèles. On a recensé à Lactora trois grandes cérémonies aux IIe et IIIe siècles : le 18 octobre 176 (sous Marc-Aurèle), le 24 mars 239 et le 8 décembre 241 (sous Gordien III) : outre un sacrifice au profit de l’empereur et de son épouse, les autels de sept femmes et d’un homme sont conservés pour ce jour6. Ces dates précises n’ont pas trouvé d’explication, ne correspondant à aucun événement particulier ; seule la cérémonie de 239, le 24 mars, correspond au jour du sang dans le calendrier romain et la liturgie métroaque exige des effusions de sang de la part de ses fidèles7. On ne peut pas exclure que des tauroboles aient été accomplis à d’autres dates, certains autels n’ayant pas de datation exacte.

Collection

Les vingt autels conservés à Lectoure sont pour la plupart (18) en marbre blanc de Saint-Béat, les deux autres en calcaire dolomitique local. Deux autels, dont on possède la description et les inscriptions par les recueils épigraphiques, sont mentionnés comme « perdus ». Les dimensions et proportions, quoique variables, sont relativement homogènes : de 48 cm à 96 cm de hauteur (les autels tauroboliques de Lyon vont de 1,10 m à 2,05 m de hauteur). Tous sont d’une facture soignée et ils sont dans un bon état de conservation, du moins quant aux inscriptions : les symboles liturgiques latéraux (bucranes, patères, couteaux, urceus), pris pour des symboles héraldiques, furent martelés à la Révolution8. Les autels se trouvant groupés par deux sur les piliers, les faces latérales jointives furent épargnées. La plupart des autels ont donc une face latérale martelée, l’autre intacte, ou à peu près. Les inscriptions sont, pour une grande partie des autels, dans un cadre à double moulure de conception sensiblement identique ; parfois l’inscription se prolonge en dessus du cadre et sur la base de l’autel. L’autel de Severus présente un encadrement à rinceaux. Pour les autres, l’inscription seule occupe la surface de la face avant.
Toutes les inscriptions portent le mot tauropolium, et non taurobolium comme par exemple l’autel taurobolique de Lyon. Référence au culte d’Artémis taurique (honorée en Tauride) auquel le culte de Cybèle a succédé9 ? Il est possible qu’un temple ait existé, dédié à Diane, forme romaine d’Artémis, dans le même secteur de la ville où se trouve la fontaine Diane, encore que ce soit en l’état actuel des connaissances purement hypothétique.
Un autel de 176, commémorant à la fois un taurobole et un criobole, est offert au profit de la famille impériale par la république des Lactorates10. Le plus grand autel (93 centimètres de haut), celui qui servait de base à l’autel de l’église Saint-Thomas, a été offert en 241 pour l’empereur Gordien, sa femme Tranquillina, toute la famille impériale, et pour la civitas des Lactorates11. Sur les 20 autels et hormis ces deux précédents, trois mentionnent le nom d’un homme comme récipiendaire du taurobole. Tous les autres indiquent que c’est une femme (parfois deux ensemble) qui a offert le sacrifice et fourni les animaux immolés (hostiis suis).
Trois autels font état de la consécration des vires (« forces », probablement les testicules du taureau) après que le taurobole a eu lieu12. Les vires étaient enterrés au pied des autels, à proximité du temple, parfois dans un lieu appelé mons vaticanus dont on ne retrouve pas de mention à Lactora.



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