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samedi 4 mai 2013




LE CHAUFFAGE PAR HYPOCAUSTE,
L’exemple de la villa gallo-romaine de Cénac (Gironde33)


            Lors de l’opération archéologique de sauvetage urgent qui s’est déroulée au lieu dit «  Square Saint-André » à Cénac (33) du 17/02/1997 au 14/03/1997, des vestiges antiques ont été mis au jour. Le village de Cénac est situé au Sud-Est de Bordeaux dans l’Entre-Deux-Mers. Le décapage et la fouille ont été réalisés sur la parcelle immédiatement à l’ouest de l’église. Les traces d’occupation antiques sont présentes sur l’ensemble des secteurs décapés. Le plan partiel suggère la présence sur le site d’une villa gallo-romaine dont une zone est équipée d’un système d’hypocauste.

            La fouille de ce secteur a, dans un premier temps, suscité notre intérêt et, pour satisfaire notre curiosité une visite à la bibliothèque nous parut nécessaire. Malheureusement, bien que les principes de ce mode de chauffage soit connus de tous, la plupart de la bibliographie mentionnant  ce système ne répondait pas totalement à nos interrogations. En effet si la majorité des écrits s’accordent sur les principes, ainsi que sur la description de la chambre de chaleur (area, pilettes, suspensura), d’autres éléments sont l’objet de controverse lorsqu’ils ne sont pas totalement ignorés.

            L’exemple de Cénac[1]

            Un exemple intéressant de salle chauffée par hypocauste s’est en effet révélé à Cénac. L’hypocauste est situé dans le corps de bâtiment Est. Celui-ci s’organise autour d’une cour centrale rectangulaire de 15.50m de long sur 8.5m de large.
Les deux pièces chauffées de petite taille, se trouvent dans la partie sud de ce corps de bâtiments. L’hypocauste comporte à l’origine un sol (area) de 5.90m sur 3.20m, séparé transversalement par trois petits murets ménageant des passages d’air chaud. Ce sol se compose d’un radier de petits blocs calcaires sur lequel a été coulé un béton de tuileau.
            Les murs sud et ouest  de 0.53m de large, encore en élévation sur 0.25m sont construits en opus mixtum (alternance de moellons calcaires et de tegulae posées à plat). Ils sont encore recouverts par endroits d’un enduit de chaux blanc-gris de 1cm d’épaisseur.
            Les murs nord et est partiellement épierrés présentent les mêmes caractéristiques techniques.

            Au nord des deux salles, la chambre de chauffe a été remblayée avec des matériaux de construction (moellons parfois rubéfiés, tuiles, morceaux de marbre blanc). L’absence de fondations ou d’épierrement laisse supposer la présence d’une structure en matériaux légers (appentis). Une grande quantité de charbons de bois recouvrait la base du creusement de la chambre de chauffe. A la jonction de celle-ci et du sol des pièces chauffées, il est possible de reconnaître une partie des dalles en terre cuites du praefurnium (foyer).
            Pour l’hypocauste en lui-même, des assises de pilettes en brique carrées, de 22cm de côté, liées à l’argile ont pu être observées en place. Certains des éléments de terre cuite constituant ces pilettes sont apparemment des grandes tuiles à tétons (tegulae mammatae) retaillées pour la circonstance. De plus des traces de pilettes en négatif ont pu être reconnues dans la partie occidentale de la zone. Leur alignement ne montre pas un plan rigoureux.
            Dans un deuxième état, un réaménagement voit le bouchage des passages d’air chaud à l’aide de mortier, de morceaux de tuiles, et de petits blocs de calcaire informes. Le passage de l’air chaud ne se faisait alors plus que par des tubulures en terre cuite à 20 cm du sol, réduisant ainsi la température de la pièce la plus éloignée du foyer. Egalement dans cette pièce, il a été possible d’observer en place la présence, à la base de la chambre de chaleur, d’une tuile maintenue verticalement à distance du mur par un clou. Ces éléments suggèrent sur ce site l’utilisation du système des tegulae mammatae que nous verrons plus en détail par la suite.
            La datation et l’interprétation de cet ensemble posent problème. En effet aucun indice ne permet de proposer une date pour la construction de l’hypocauste. Les niveaux de destruction-abandon contiennent eux des céramiques datées du IVème siècle après J.-C..
            La fonction du bâtiment fait également problème : le seul indice allant dans le sens d’une fonction thermale est la présence d’un caniveau contigu au mur sud de l’hypocauste. Pourtant aucun lien direct n’est apparu entre le caniveau et l’hypocauste.
            Toutes ces questions apparues sur ce modeste chantier de fouilles nous incitent  à pousser plus loin les investigations sur ce procédé témoin du haut degré de la technologie antique.

Historique

            D’un point de vue historique, bien avant l’invention de l’hypocauste, le premier système de chauffage fut le foyer ouvert. Situé au cantre de la pièce d’habitation principale, il servait autant à la cuisson des aliments qu’au chauffage de la maison. Ce système convenait mal à des habitats plus évolués composés de multiples pièces. La réponse à ce problème fut apportée par l’invention de braseros portatifs, déplaçables d’une pièce à l’autre. Ces sortes de récipients furent d’abord en terre cuite puis en métal[2]. Ils pouvaient servir d’appareil de chauffage comme de réchaud pour les aliments. Ce système fut extrêmement répandu même s’il présentait l’inconvénient d’être responsable de nombreux incendies[3].
Les cheminées (âtres) étaient connues des Romains, pourtant ils les utilisèrent très peu. Il faut attendre le XIème siècle pour voir ce système se généraliser définitivement[4].

            Parallèlement à cette évolution des techniques de chauffage nous pouvons constater que l’usage du bain individuel chaud était courant chez les Grecs. Les romains des premiers siècles, quant à eux, faisaient peu usage du bain. Il faut attendre la fin du IIIème siècle avant J.-C. pour que les balnéaires fassent leur apparition à Rome tant avec les thermes publics que dans les habitations privées. Les bains publics s’appelèrent désormais balneae. Il semble donc que les grands thermes romains tels que nous les connaissons procèdent d’une tradition grecque. Des vestiges du IVème siècle avant J.-C. ont été mis au jour à Syracuse (canalisations passant sous certaines parties de la pièce à chauffer).
C’est à Pompéi que la rencontre de ces deux civilisations paraît s’être concrétisée dans ce domaine. Ainsi, les thermes de Stabies, sont probablement les plus anciens connus. Ces bains sont restaurés au début du Ier siècle avant J.-C. et ils contiennent désormais des salles sur hypocauste. Cette invention de l’hypocauste est sans aucun doute l’élément le plus marquant de l’histoire du chauffage dans l’antiquité. Elle est le fait d’un certain Caius Sergius Orata contemporain de Sylla[5]. Le mot hypocauste bien que composé de deux mots d’origine grecque, est d’origine latine[6]. On peut le traduire par « chauffage par en dessous » ou « chauffage par le sol ». Le mot hypaucausis  désigne le foyer souterrain alors qu’hypocaustum désigne plus précisément le lieu supportant les sols chauffants.
Ce système se généralise alors dans les thermes publics mais également dans les demeures privées et plus particulièrement dans les grandes villas rurales. A l’origine il est sans doute assez peu efficace mais il va bénéficier rapidement de trois innovations technologiques au début du premier siècle de notre ère. Ce fut tout d’abord la découverte du verre à vitre[7] qui permit une meilleure isolation des bâtiments, ensuite celle des matériaux résistants au feu (réfractaires) et enfin l’invention des tubuli qui permettaient à l’air chaud de circuler dans des murs creux[8]. Il est possible que les inventeurs des tubuli  se soient inspirés des doubles cloisons isolantes destinées à protéger une pièce de l’humidité. Les pièces ainsi mieux isolées, la chaleur plus également répartie permirent de produire des températures beaucoup plus élevées ( jusqu’à 40° dans les piscines[9]). Le système de chauffage par hypocauste pouvait alors atteindre son efficacité optimale à la fin du premier siècle après J.-C. A ce moment la technique put autoriser la construction des grands ensembles thermaux impériaux tels que nous les connaissons. Cette technique à son apogée fut rapidement adaptée au chauffage domestique. Surtout dans la partie septentrionale de l’empire romain et à partir de 150ap. J.-C. selon Kretzschmer[10]. C’est sans doute à partir de cette période que se place la construction de l’hypocauste de Cénac. Le chauffage par hypocauste perdurera sans perfectionnement notable jusqu’à la fin de l’empire. Dans les pays septentrionaux il se prolongera parfois au Moyen-âge pour disparaitre ensuite au profit du feu ouvert et de la cheminée. En Corée l’usage de l’ong-dol , système de chauffage au moyen d’une sorte d’hypocauste dont l’existence est attestée depuis le néolithique dans des habitats semi-souterrains, s’est prolongée jusqu’à nos jours [11].

Description d’un système de chauffage par hypocauste
       

Ce chapitre tente de faire une synthèse des informations que nous avons recueillies concernant la description des différents éléments constituant l’hypocauste.

La chambre de chauffe
         La chambre de chauffe est le local où débouche le foyer de l’hypocauste. Le mot praefurnium désigne plus particulièrement le foyer. D’après Vitruve[12] la chambre de chauffe se nommerait propigneum ou «  l’élément le plus extérieur de l’hypocauste » d’après J. Delorme[13] qui définit également le praefurnium comme « l’ouverture par laquelle on charge le four ».
Les bains privés ont le plus souvent un hypocauste à foyer extérieur qui s’avance dans la chambre de chauffe. Elle est donc souvent assez vaste pour des raisons pratiques évidentes. A Pompéi seuls les bains sont chauffés par hypocauste et la tubulature y est à peine connue en 79 après J.-C. lors de la destruction de la ville[14]. Dans cette ville le foyer de l’hypocauste est presque toujours situé dans la cuisine ou dans un local contigu à celle-ci. Cet arrangement se comprend pour les multiples facilités qu’il apporte. Qu’elle soit ou non dans la cuisine, la chambre de chauffe est presque toujours dans une zone retirée de la maison. En Gaule les structures sont moins bien conservées qu’à Pompéi mais il semble que cuisine et chambre de chauffe soient rarement associées. J.-M. Degbomont[15], pour une zone correspondant approximativement à l’ancienne Belgique Romaine, fait ressortir huit types de chambres de chauffes différents. Il établit sa classification en tenant compte de la position de la chambre de chauffe dans la maison, de sa structure fermée ou ouverte, de sa taille et de la présence ou non d’escalier, de couloir de service…
Pour ce qui est du chauffage domestique il existe deux exemples rapportés par Pline le Jeune[16] et Palladius[17] concernant la péninsule italienne. Dans nos régions de Gaule le chauffage domestique est une adaptation du système prévu pour le chauffage des bains. Cependant il y demeure plus rare. Une étude par J.-M. Degbomont de nombreux hypocaustes du nord de la Gaule lui permet d’affirmer que la taille de la chambre de chauffe ne dépend pas de la vocation thermale ou non de l’édifice et n’est donc pas un critère d’identification de la vocation des hypocaustes.[18]Il en ressort également que les chambres de chauffe à l’intérieur de l’habitat sont les plus nombreuses (78%). De plus les foyers pour chauffage domestique sans chambre de chauffe se réduisaient souvent à une simple ouverture dans le mur de la pièce à chauffer avec parfois, devant le foyer, une aire de dalles en terre cuite ou une simple fosse. Le mode de couverture des chambres de chauffe est extrêmement mal connu pour des raisons de conservation de cette partie élevée de l’habitat que constitue la toiture. Lorsqu’on ne retrouve pas de substructions en dur il est possible d’imaginer l’existence d’un appentis en bois. En résumé la chambre de chauffe est plutôt considérée comme une annexe par rapport au reste de la maison. De ce fait elle est souvent située dans des parties retirées ou à la périphérie de la villa. Elle était souvent grossièrement ou légèrement construite et son sol de terre battue.
A Cénac la chambre de chauffe semble de construction légère (pas de traces de fondations ou de substructions en dur). La seule structure précédent le foyer est une fosse servant sans doute à l’évacuation des cendres.

Le foyer et le canal de chauffe

Le foyer est le centre du système de chauffage par hypocauste. Une fois de plus il convient de distinguer le foyer des bains de celui du chauffage domestique. Si la conception initiale est la même ils diffèrent pourtant dans leur réalisation.
            Le foyer pour chauffage domestique est un simple couloir souvent voûté, qui prend jour dans la chambre de chauffe ou à l’air libre, traverse le mur de la chambre de chaleur et aboutit dans cette dernière. Le canal de chauffe est le prolongement de ce couloir dans la chambre de chaleur. Ce système est appelé « système à foyer intérieur » par F. Kretzschmer par opposition au foyer pour chauffage des bains qu’il appelle « système à foyer extérieur ». L’observation des foyers de chauffage domestique montre qu’ils sont le plus souvent dans l’épaisseur même  du mur de la chambre de chaleur. En effet J.-M. Degbomont dénombre quatre types de foyers pour le chauffage domestique dont ce dernier est le plus courant[19].Viennent ensuite les foyers dans l’épaisseur du mur de la chambre de chaleur avec canal de chauffe intérieur, puis les foyers à l’extérieur de la chambre de chaleur avec canal de chauffe intérieur et enfin le foyer extérieur sans canal de chauffe intérieur. Ces foyers (voûtes, murets, sols) sont généralement construits en matériaux réfractaires afin de résister à des températures élevées. Cependant le chauffage domestique ne demandant pas de hautes températures, on retrouve souvent des foyers construits en pierre locale. La sole, où repose directement le feu, est, elle, presque toujours construite en matériaux réfractaires (briques ou tuiles plates posées de champ). Les foyers d’hypocauste étaient généralement précédés d’une surface aménagée servant à la préparation du combustible et à l’évacuation des cendres. Selon F. Kretzschmer[20] une porte de fermeture du foyer avec aération était indispensable au bon fonctionnement de l’hypocauste. Malheureusement les trouvailles de ce genre demeurent très rares, le métal de ces portes ayant pu être réemployé à d’autres fins. En ce qui concerne le chauffage des bains, malgré une conception identique au chauffage domestique, nous pouvons constater des différences quant à leur aspect final. En effet on leur demandait également de chauffer l’eau au moyen de chaudières placées dans la chambre de chauffe.
Enfin nous constatons au cours des fouilles la présence quasiment systématique de cendres et de charbons de bois dans les chambres de chauffe et les foyers. A ces cendres sont parfois mêlés des déchets de cuisine laissés là par les hommes chargés de l’entretien des feux : les fornacatores.
A Cénac le foyer a entièrement disparu. Cependant la structure de la chambre de chauffe ainsi que l’absence du moindre reste d’un canal de chauffe suggèrent un système à foyer intérieur. Ce type est le plus couramment utilisé en ce qui concerne le chauffage domestique.

La chambre de chaleur

Il n’existe pas d’équivalent latin pour désigner cette pièce. Il s’agit en fait d’un sous-sol dans lequel débouchait le foyer. Les chambres de chaleur à pilettes, destinées au chauffage domestique étaient le plus souvent carrées ou rectangulaires. Le sol (area) était constitué de béton de tuileau parfois recouvert de tuiles plates ou de briques. Sur cette area on construisait, le plus souvent, des pilettes de terre cuite composées de disques ou carreaux empilés les uns sur les autres et liés entre eux par de la terre crue. Parfois ces pilettes étaient construites en pierre locales ou tout aussi rarement constituées de cylindres creux en céramique. Quelles que soient leurs formes ou leurs matières elles avaient pour rôle de soutenir le sol de la pièce à chauffer qui se trouvait ainsi suspendu (suspensura). Parfois les chambres de chaleur n’étaient pas construites avec des pilettes mais avec des canaux creusés dans le sous-sol de la pièce à chauffer. Cependant les hypocaustes à pilettes sont le type le plus courant. La pilette classique selon Vitruve doit être de terre cuite et mesurer 20 centimètres de côté pour une hauteur de 75 centimètres. Dans la réalité la taille et la forme des pilettes retrouvées varient très largement selon les sites. La plupart des carreaux ou disques constituant les pilettes étaient liés entre eux par de l’argile crue. Les exceptions sont constituées de briques liées au mortier. Les pilettes servant de support aux baignoires étaient soit plus épaisses soit reliées entre elles par des voûtes afin de supporter un poids plus élevé.
Le sol de la chambre de chaleur, appelé aussi sol d’hypocauste, radier d’hypocauste ou area avait pour rôle de supporter les pilettes. Pour cette partie il est inutile de distinguer chauffage domestique et chauffage des bains car sa disposition est identique dans les deux systèmes. Vitruve donne deux prescriptions importantes pour la construction des sols d’hypocaustes[21]. Ceux-ci doivent être carrelés de briques d’un pied et demi (environ 45 cm) et doivent être inclinés vers le foyer afin de faciliter la circulation de la flamme sous le radier suspendu. Il semble que dans les grands thermes les sols d’hypocauste aient toujours été carrelés avec des matériaux réfractaires. Pour les bains privés et le chauffage domestique, les carreaux de terre cuite sont souvent remplacés par du mortier. Dans tous les cas ce revêtement supérieur est posé sur un radier de pierres plates posées de champ. En ce qui concerne l’inclinaison de ces sols, et malgré les recommandations de Vitruve, un très petit nombre d’entre eux ont été découverts avec le sol incliné.
La suspensura était construite suivant un principe de base quasiment toujours respecté. Sur les pilettes on disposait de grandes dalles carrées en terre cuite de deux pieds de côté (environ 60 centimètres) et de 5 à 6 centimètres d’épaisseur[22]. Sur ces dalles de suspensura on coulait une couche de béton (chaux + gravier + sable + tuileau concassé) de 10 à 15 centimètres d’épaisseur qui devait assurer l’étanchéité de l’ensemble. Sur cette couche de béton venait le revêtement final. Celui-ci était composé d’une mince couche de béton polie ou stuquée, d’un dallage de marbre ou de calcaire ou encore d’une mosaïque.
Pour terminer avec les chambres de chaleur, il est utile de mentionner les chambres de chaleur constituées de canaux permettant à l’air chaud de circuler sous le sol de la pièce à chauffer. En Gaule ce système semble plus récent que celui des pilettes. Les hypocaustes à canaux étant plus nombreux dans les constructions privées du Bas-Empire.
En ce qui concerne la chambre de chaleur de Cénac, l’équipe de fouille a pu y constater la présence de pilettes en terre cuite classiquement liées à l’argile. De son côté la suspensura a totalement disparue en raison de l’état d’arasement avancé du site.


L’évacuation de l’air chaud et des fumées
Lorsque l’air venu du foyer avait livré sa chaleur à la suspensura, il était, avec les fumées de combustion, aspiré à l’intérieur de murs creux avant d’être évacué à l’extérieur.
Vitruve, écrivant à la fin du premier siècle avant notre ère, ne semble pas avoir connu la tubulature qui apparaît dans la première moitié du premier siècle après J.-C. Au fil des lieux et du temps il y eu trois façons de fabriquer des murs creux.
La première technique se construit au moyen de tegulae mammatae. Ce sont des briques plates pourvues sur une des faces de quatre mamelons ou saillies sur une des faces près des quatre coins. Les mamelons étaient appuyés contre le mur à recouvrir. Disposées les une à côtés des autres, ces plaques formaient entre elles et le mur un espace creux dans lequel l’air chaud pouvait circuler. La paroi ainsi créée était recouverte de stuc afin d’assurer l’étanchéité et de recevoir une éventuelle décoration. Cette paroi en tegulae mammatae est sans doute la plus ancienne technique de construction des cloisons chauffantes. Parfois les tuiles ne comportent qu’un seul mamelon au centre.
Le procédé assurément le plus perfectionné et qui devint rapidement le plus courant à partir du premier siècle de notre ère fut la construction de murs creux en tubuli.  Leur forme n’a pratiquement pas varié au cours du temps, seules les dimensions sont variables. Ils se présentent sous la forme d’un parallélépipède creux, de section carrée ou rectangulaire. Ces briques creuses étaient entassées les unes sur les autres et côte à côte de manière à former une paroi creuse. Elles étaient souvent munies d’ouvertures sur les faces latérales de telle sorte que les tubuli communiquaient entre eux horizontalement. Ils prenaient leur départ au niveau de la suspensura entre celle-ci et le mur de façon à communiquer avec la chambre de chaleur. En raison de l’état d’arasement des sites nous savons peu de choses sur la façon dont se terminaient ces rangées verticales de tubuli.
La dernière technique nécessite l’emploi de cheminées. Ou retrouve plus facilement leurs traces que celles de la tubulature car elles étaient souvent encastrées ou emmurées donc mieux protégées. Elles n’étaient pas seulement destinées à évacuer la fumée mais servaient également de tuyaux de chauffage. Dans des pièces carrées ou rectangulaires leur nombre minimum devait être de quatre. Elles sont le plus souvent situées dans les coins. Les dimensions des boisseaux de cheminée sont nettement plus grandes que celles des tubuli. Les cheminées emmurées, c'est-à-dire placées dans l’épaisseur même du mur de la pièce à chauffer, débouchent dans la chambre de chaleur par un conduit horizontal ou oblique. Les cheminées avancées étaient construites contre la face intérieure des murs de la pièce à chauffer. Elles débouchaient dans la chambre de chaleur. Ce type malgré l’inconvénient esthétique est sans doute le plus couramment utilisé. Les maigres indices laissés par l’archéologie permettent tout de même de supposer que ces cheminées débouchaient à l’extérieur en dessous du niveau du toit.
A Cénac, il semble que deux techniques différentes aient été employées sans que nous puissions trancher sur le caractère simultané ou successif de leur utilisation. En effet dans une des deux pièces chauffées nous avons pu constater la présence, en place, d’une tuile maintenue par un clou à la base de la chambre de chaleur. De plus des éléments de terre cuite brisés et noircis, semblant provenir de la destruction de tubuli, ont été retrouvés dans les remblais de la chambre de chauffe.

Conclusions

Le travail d’étude et de recherche nécessaire à la rédaction de cet article nous a permis quelques comparaisons entre l’hypocauste de Cénac et les caractéristiques techniques généralement admises dans la bibliographie. Malgré cela, la question de la fonction de l’hypocauste de Cénac (thermes ou chauffage domestique) reste ouverte.
Cependant, certains indices vont plutôt dans le sens du chauffage domestique. En effet, à Cénac, nous sommes en présence d’une chambre de chauffe légère probablement constituée d’un appentis en bois et d’une simple fosse de dégagement devant le foyer. Ce foyer, comme nous l’avons vu, semble appartenir au « système à foyer intérieur », le plus utilisé pour le chauffage domestique. La chambre de chaleur, quant à elle, est de facture classique (pilettes de terre cuite liées à l’argile, posées sur un mortier de tuileau reposant lui-même sur un radier de blocs calcaires. Le seul élément original est le réemploi, pour la construction des pilettes, de tegulae mammatae coupées en quatre. Il est impossible de parler de la suspensura qui a totalement disparu.
Par comparaison avec les statistiques de J.-M. Degbomont pour la Gaule Belgique, nous pouvons dire que la chambre de chauffe et le foyer sont du type le plus couramment utilisé pour le chauffage domestique. Cependant il serait intéressant de mener les mêmes comparaisons avec d’autres provinces de l’empire afin de préciser ces indices.
Les cas avérés de chauffage domestique sont rares dans tout le monde romain. En effet les hypocaustes ayant cette vocation sont toujours moins nombreux que ceux destinés au chauffage des bains, cela même dans la partie septentrionale de l’empire. En Gironde, après examen de la Carte Archéologique du département (C.A.G . 33) il semble qu’aucun cas de chauffage domestique ne puisse être attesté formellement. Seuls deux cas semblent s’en rapprocher assez fortement. Le premier est proche géographiquement de Cénac. Il s’agit de la villa gallo-romaine de Camblanes et Meynac (3 km de distance). Dans la grande villa fouillée de 1968 à 1972, une absidiole attenante à une grande abside semblait être chauffée comme l’atteste la présence de quatre tubuli dans les murs. L’autre cas est situé à Léogeats (C.A.G. 33, n°256). Il s’agit de deux salles fouillées en 1961-1962. Sur un sol de béton coexistent deux systèmes de chauffage : un système classique d’hypocauste à pilettes et un hypocauste à canaux. Dans les murs des deux salles on a retrouvé des conduites en argile. Sur ce site aucun indice ne va dans le sens de l’exploitation thermale. Il s’agit donc probablement d’un chauffage domestique.
Comme nous l’avons vu de nombreuses questions restent posées tant pour la fonction que pour le fonctionnement des nombreux hypocaustes découverts dans le monde romain. Il serait donc intéressant de multiplier les comparaisons techniques entre les hypocaustes des différentes régions afin de créer une classification typologique des hypocaustes et de leur fonction. Peut-être serons nous ainsi amenés à réviser l’idée couramment répandue que seules les régions septentrionales de l’empire comportaient des pièces d’habitation chauffées par hypocauste ; peut-être devrons nous aussi reconsidérer, d’après ce référentiel, la fonction d’un certain nombre de vestiges de ce type.

Fabien Balutet , article revu et augmenté 2013, première parution dans le Bulletin de la société Historique et Archéologique du canton de Créon 1999.
           





[1]    Toutes les informations rapportées ici proviennent du rapport de fouille de Patrick Massan (AFAN) et de notre propre participation au chantier de fouille du Square Saint-André de Cénac

[2] J.-M. Degbomont, Le chauffage par hypocauste dans l’habitat privé, p.15
[3] J.-P. Adam La construction romaine, pp.287-288.
[4] Ibid.
[5] Macrobe, Les Saturnales, III, 15, 3 ; Pline, Hist. Nat .IX, 79 ;
[6] J.-M. Degbomont, Le chauffage par hypocauste dans l’habitat privé, p.15
[7] Sénèque, Epist., XC, 25.
[8] Les thermes de Stabies à Pompéi furent dotés de tubuli après le tremblement de terre de 64 ap. J.-C., J.-M. Degbomont, Le chauffage par hypocauste dans l’habitat privé p.27, note74.
[9] Ibid., p.24.
[10] Pompéi ne compte aucun chauffage domestique sur hypocauste.
[11] http://www.universalis.fr/encyclopedie/coree-arts/3-architecture/
[12] Ingénieur militaire et architecte du premier siècle avant J.-C. auteur du De architectura
[13] J. Delorme Etudes architecturales sur Vitruve, dans Bulletin de correspondance hellénique LXXIII, 1949, I, pp. 398-420.
[14] J.-M. Degbomont, lc, p.38
[15] L.c., p.42.
[16] Pline le Jeune, Epist., II, 17, 9.
[17] Palladius, I, 39, 5.
[18] L.c., p.51.
[19] J.-M. Degbomont, l.c., p.62.
[20] F. Kretzschmer, Hypocausten, p.29.
[21] Vitruve, De Architectura, V, 10.
[22] J.-M. Degbomont, l.c., p.114.

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